Sans mots d’elles

Les bêtes taciturnes, n’étant pas comme nous, les parlantes, affligées de cet automatisme mental, cette logorrhée verbale qui grésille sans cesse dans notre tête et, qu’avec emphase, nous désignons sous le terme de conscience, de quelle nature est donc le flux mental qui sillonne leur boîte crânienne quand, emportées par la faim, la soif, le désir, la peur ou l’angoisse, elles se donnent, à elle-mêmes, la représentation muette de leurs sensations et de leurs perceptions ?

Pas plus que leur monde intérieur diurne n’est accessible à la conscience humaine, pas plus leur univers onirique est-il, pour nous, ouvert à une quelconque évocation intelligible.

Les bêtes muettes rêvent, c’est certain mais rien ne transpire des fictions voluptueuses qu’elles imaginent, des cauchemars qui, au réveil, les laissent transies d’effroi. Sont-elles, comme nous, traversées par le fracas des débris du jour qui remontent, dans le rêve, avec la marée nocturne ?

Nous ne saurons jamais rien d’elles, ces bêtes muettes qui nous côtoient et que nous affublons des noms dont elle ne savent rien, sinon le bruit caractéristique d’un cliquetis verbal, associé, pour elles, à celui d’ un claquement de porte ou d’un grondement d’orage.

Pas plus qu’elles ne sont dans la parole, elle ne sont dans le silence, son pendant négatif: elles habitent un monde qui nous échappe totalement, ni parlant ni silencieux, un univers de la plus pure altérité.

Il suffit de les regarder assez longtemps pour être saisi de l’inquiétante étrangeté de leur monde, énigme du vivant, qui échappe au sourire, au rire et aux pleurs de la condition humaine.

Ma fois

La foi se construit sur la première fois, soit sur la confiance absolue à sa mère : qu’elle vienne à manquer, et c’est l’amère-créance qui va occuper la place laissée par le vide maternel, soit la foi dans le rien.

Dépasser les borgnes

Comme Salman Rushdie, mon chat est devenu borgne à la suite d’une agression par l’un de ses semblables qui l’avait à l’oeil.

Quelle œuvre sacrilège ce gentil greffier avait-il pu commettre pour être l’objet d’une fatwa aussi injuste que cruelle ?

Pas de versets sataniques à son endroit sinon quelques coups de pattes, bien orthodoxes, sur les mulots qui se hasardaient sur son territoire .

Il faut croire, sans doute , que chez les félins aussi, chacun se fait sa religion et que la moustache de l’un , à trop frétiller, indispose les vibrisses de l’autre au point de vouloir l’aveugler de tant d’audace doctrinale dans sa perception du monde.

Brève sentence

La Rochefoucauld remarque que : «  Tout le monde se plaint de sa mémoire mais personne ne se plaint de son jugement. »

C’est bien vu, mais, à en juger son entourage et soi-même, c’est une considération qui risque d’être très vite oubliée.

Sans soi

Quelle confiance en soi ne faut-il donc pas avoir pour accorder sa foi à son coeur qui, sans soi, bat dans les artères, à ses poumons qui prennent l’air sans notre aval, à son estomac qui , sans soi, est dit gérer les aliments, à ses yeux qui, sans soi, ne demandent qu’à voir, à ses oreilles qui, sans soi, s’entendent à merveille, à ce nez qui sent soi, à cette langue, sans soi, si bien pendue, à ses jambes qui, sans soi, se prennent à son cou, à ses bras qui s’ouvrent sans soi à tout va, à cette tête, sans soi, près du bonnet, à ce sang, soit, qui coule sans soi, à toute cette machinerie des soutes d’humeur…

Judée haut et débat

Tomber, nez à nez, avec un arbre de Judée qui , en avril, explose d’un pourpre vif, et voilà le mécréant le plus inflexible, capable de tomber en foi, comme on dit, au Québec, qu’on tombe en amour.

Et cela, d’autant plus , que la légende raconte que cet arbre doit son nom à Judas, arbre sur lequel, l’apôtre serait allé se pendre après avoir trahi son Maître.

Ses feuilles, rondes et plates, images des deniers de la trahison.

La légende dit encore, qu’après la pendaison, l’arbre se serait mis à fleurir, signe miraculeux qui se répète maintenant, chaque année, autour de Pâques.

Conversion éphémère cependant qui ne dure que l’espace d’un printemps car si l’Artiste divin a plus d’une corde à son arc pour vous faire fondre devant la Beauté du monde, c’est lui même qu’il trahit, par son retrait, devant le poids du malheur et la laideur du Mal.